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Déficit de l'assurance-chômage : les intermittents ne sont pas les principaux responsables, selon la Cour des comptes

Pour la première fois, la Cour des comptes relève que les intermittents du spectacle ne sont pas les principaux responsables du déficit du régime d'allocations chômage.

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Publié le 29 novembre 2013 à 16h50, modifié le 29 novembre 2013 à 20h04

Temps de Lecture 5 min.

Manifestation des intermittents du spectacle pour protester contre les modifications de leur régime d'indemnisation chômage, le 8 mars 2006, à Paris.

Artistes ou techniciens, parce que leur emploi est instable, alternant périodes d'emploi et de chômage, les intermittents du spectacle bénéficient, depuis la fin des années 1970, d'un régime d'allocations chômage plus généreux que le régime général. Un acquis social structurel dans l'économie de la culture française – défendu aussi bien par la gauche que par la droite – qui est devenu, au fil du temps et au gré de la précarisation de la société, la bête noire des audits publics de la Cour des comptes. Les magistrats de la rue Cambon accusent régulièrement ce régime de creuser le déficit de l'assurance-chômage et de maintenir les intermittents du spectacle comme « la catégorie de demandeurs d'emplois indemnisés bénéficiant de loin des règles les plus favorables ». 

Mais le dernier rapport en date – rendu public le 26 novembre et signé par le président Didier Migaud – change un peu la donne : pour la première fois, la Cour relève que les intermittents ne sont pas les principaux responsables du déficit global de l'Unedic, l'organisme qui gère l'assurance-chômage : la dégradation de la situation des CDI, CDD et des intérims y prend une part plus importante. Une donnée que la Cour précise bien comme étant conjoncturelle au contexte de crise, ce qui ne change pas, structurellement, le besoin de financement toujours plus important des intermittents du spectacle par rapport aux autres emplois indemnisés.

Le rapport note ainsi :

« La dégradation du solde global des contributions et des allocations du régime entre 2008 et 2011 résulte d'abord de celle du solde positif des CDI du régime général qui, comparé à 2008, a diminué globalement de près de 3 milliards d'euros en 2010, puis de deux milliards en 2011 (...) C'est l'évolution du solde négatif des CDD qui a pesé sur l'équilibre financier de l'assurance chômage plus que celle des soldes des annexes 4, 8 et 10 [les indemnisations des intermittents du spectacle]».

Malgré cette donnée conjoncturelle, le dernier rapport de la Cour reste intraitable envers le régime des intermittents du spectacle, dont le déficit avoisine le milliard d'euros par an, et ce depuis une dizaine d'années : « La permanence de ce besoin de financement, qui s'est constitué à hauteur d'un milliard d'euros dès 2004, où il atteignait 97 millions d'euros, soit bien avant la crise, montre que, par-delà les fluctuations du marché du travail, il présente un caractère structurel. »

Comment fonctionne le régime d'allocations chômage des intermittents :
Les annexes 8 (apparue en 1965) et 10 (1968), sont un ensemble de règles spécifiques d'indemnisation pour les artistes et techniciens intermittents du spectacle qui sont annexées au règlement de l'assurance-chômage. Il existe de telles annexes pour d'autres salariés à l'emploi spécifique comme les intérimaires, les dockers, les pilotes, la marine marchande... Mais le financement de l'ensemble du dispositif est opéré sur la base du principe de solidarité interprofessionnelle. Depuis 1979, ce régime est monté en charge en indemnisant des intermittents jusque-là exclus de fait de la couverture chômage du fait de la spécificité de leur emploi. Le régime a ensuite suscité de nombreuses crises. La dernière, en date de 2003, avait fait l'objet d'une vive contestation, conduisant à l'annulation de plusieurs festivals. Depuis, 507 heures de travail sur 10 mois pour les artistes ou 10,5 mois pour les techniciens sont nécessaires pour être indemnisé : ces seuils sont beaucoup plus élevés que dans le régime général.

« LA COUR REVIENT ENFIN À LA RAISON »

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Pour Mathieu Grégoire, maître de conférence en sociologie, la reconnaissance de cette donnée conjoncturelle représente « un début de recul et de mea culpa de la Cour dont le précédent rapport avait été très critiqué » pour sa tonalité jugée abusive, notamment par le ministre du travail, Michel Sapin, qui avait rappelé le non-sens qu'il y a à accuser le régime des intermittents de creuser le déficit. En janvier, la Cour avait de nouveau dénoncé un régime « sans équivalent à l'étranger ».

Aujourd'hui, « la Cour revient enfin à la raison », estime ce spécialiste de l'emploi dans les milieux artistiques, vent debout contre des verdicts jugés « excessifs » : « dans la conjoncture actuelle, il est évident que la dégradation des comptes est liée à l'augmentation générale du chômage et au refus patronal d'envisager toute hausse des cotisations ».

LA « PERMITTENCE » TOUJOURS DANS LE VISEUR

Difficile, pourtant, de déceler dans ce référé un total changement de posture de la part des magistrats, dont le régime des intermittents a toujours été un cheval de bataille. Ils concentrent notamment leurs critiques sur une catégorie particulière d'intermittents et leurs employeurs : les « permittents », des intermittents dont le travail est régulier voire permanent chez le même employeur – et pour certains d'entre eux correctement rémunéré – et qui utilisent ainsi les allocations comme un « complément de rémunération ». Ils seraient 4 % selon l'Unedic, 15 % selon la Cour des comptes.

Principales sociétés accusées d'en abuser : les grandes entreprises de l'audiovisuel, y compris dans le service public. « Les syndicats dénoncent une externalisation d'emplois permanents et appellent à requalifier des centaines de CDD en CDI. En attendant, l'assurance-chômage continue de servir un revenu de complément à ces intermittents dont le travail est régulier et, pour certains d'entre eux, correctement rémunéré », note une enquête de Télérama.

La question posée par la Cour est donc celle « du bon niveau de solidarité interprofessionnelle », dont la définition appartient aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux. Elle attire donc leur attention « sur les conséquences économiques et financières des règles en vigueur, à un moment où l'assurance chômage connaît un déficit et un endettement élevés ».

Pour cela, ils réitèrent deux de leurs recommandations phares :

1/ Augmenter les cotisations des employeurs et lier leur niveau au recours qu'elles font au travail intermittent : « un employeur aurait ainsi un taux de cotisation d'autant plus élevé qu'il ferait un large recours à l'intermittence ».

C'est le « principe du pollueur-payeur, dénonce Mathieu Grégoire. Cette recommandation en décalage avec la réalité du secteur, aboutirait à pénaliser de petites compagnies à l'équilibre précaire (et qui n'emploient généralement que des intermittents ou presque) et à amoindrir les contributions des grosses structures ou des grands groupes audiovisuels (qui, à côté d'une part faible d'intermittents ont – heureusement – une part importante de salariés en CDI) ».

2/ Faire une plus grande distinction entre les techniciens et les artistes, car les techniciens forment justement la grande majorité des permittents : ils affichent des durées de travail plus longues et bénéficient d'indemnisations plus élevées que les artistes.

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