La parité homme-femme, toujours une fiction à la télé française

Dans l’univers des fictions télévisées françaises, productrices et auteures refusent d’être considérées comme des victimes du sexisme. Mais elles restent vigilantes sur la question de la parité…

Par Isabelle Poitte

Publié le 28 février 2016 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h28

Doit-on voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? C'est de cette façon que pourrait se poser la question de la place des femmes dans le milieu de la télévision en France, plus enviable, il est vrai, qu'à Hollywood... Des productrices, des chargées de program­mes pour les chaînes, des auteures et des réalisatrices reconnues, il y en a. En nombre. La féminisation des métiers de l'audiovisuel est une réalité, et y chercher des manifestations de discrimination sexiste revient souvent à se heurter à une certaine perplexité, voire à un soupçon d'embarras... « Je me sens féministe, observe la productrice Joey Faré, mais franchement je n'ai pas à me plaindre d'une profession qui serait phagocytée par les hommes. Les difficultés de ce métier ne se posent pas en ces termes. »

Des succès en trompe-l'œil

Même analyse ou presque de la part d'Anne Landois, « créatrice et showrunneuse » d'Engrenages, une série de Canal+ : « Quand je regarde autour de moi, je vois des femmes à des postes importants. Et je vois des hommes qui n'ont pas peur de travailler avec elles. » La question du genre est perçue comme un terrain glissant... Virginie Sauveur, qui a signé Virage nord, pour Arte, et s'apprête à réaliser la saison 3 de Kaboul Kitchen, la balaye : « Les gens me font confiance dans ce métier non en fonction de mon genre, mais parce que je sais faire ce métier. »

Ajoutons, entre autres exemples, les récents succès de Dix pour cent, portée par la scénariste Fanny Herrero, celui de la série Disparue, écrite, réalisée et produite par une équipe entièrement féminine, ou encore la popularité de Profilage, sur TF1, créée par Sophie Lebarbier et Fanny Robert. Et il serait tentant de refermer le dossier. Alors, rien de tel que les chiffres... Sur l'ensemble des fictions télévisées diffusées en 2013, seules 12 % ont été réalisées par une femme (alors que 34 % étaient écrites ou coécrites par une scénariste). Entre 2008 et 2013, seulement 7,3 % des épisodes de séries de prime time (en format de cinquante-deux minutes) ont été confiés à des réalisatrices... Chiffre qui dégringole à 3,4 % sur France Télévisions (1) !

Des producteurs frileux

Difficile d'expliquer une telle inégalité par un facteur unique. Mais une chose est certaine : les grosses machines, c'est-à-dire les séries à gros budget avec de nombreux épisodes, restent aux mains des hommes, la réalisatrice Josée Dayan restant l'exception qui confirme la règle. « La télé est devenue industrielle. Aujourd'hui, un cheminement d'auteure comme celui de Nina Companeez ou de Caroline Huppert n'est quasiment plus possible, observe la réalisatrice Lou Jeunet. Les carrières sont plus précaires. Et les femmes sont les premières touchées. Je suis diplômée de l'Idhec, j'ai fait des débuts prometteurs en réalisant quatre téléfilms, puis je n'ai plus travaillé à la télévision qu'en tant que scénariste. Il y a une grande frilosité de la part des producteurs, et même des productrices, à engager des réalisatrices. Beaucoup d'entre elles disent que leur exigence est mal perçue, alors que chez un homme cela passerait pour du perfectionnisme. » Les vieux réflexes machistes ne seraient finalement pas si loin. « A mes débuts, raconte Charlotte Brändström, réalisatrice de Disparue, j'ai senti qu'il y avait une tendance à me proposer des drames sentimentaux. C'était de bons sujets en soi, mais cela m'agaçait qu'on ne me voie que là-dedans. J'aime les univers noirs, violents. »

Des héroïnes caricaturales

A l'écran aussi les stéréotypes ont la vie dure. Les rôles féminins, « moins nombreux et moins complexes », Fanny Herrero en a fait un cheval de bataille : « En comédie, on permet à un personnage masculin d'être drôle de plein de façons différentes – jouer avec son corps, être lâche, mesquin –, pas à un personnage féminin. Or les auteures ont plus la capacité à s'emparer de cela. » La productrice Nora Melhli porte une vigilance particulière à la caractérisation des héroïnes, trop souvent réduites « à ce qu'elles dégagent physiquement » ou « obligées de justifier leur position si elles ont du pouvoir ». Réalisatrice de Crapuleuses, Magaly Richard Serrano affirme, de film en film, son envie « de creuser des destins de femmes, qui sont encore trop souvent des personnages de second plan ».

Le constat dressé par les Françaises atteint cependant rarement la virulence de leurs consoeurs hollywoodiennes. L'heure n'est pas au féminisme débridé : beaucoup se méfient d'un discours victimisant, préférant pointer la frilosité des chaînes, la puissance des réseaux et du copinage, maux qui plombent aussi les collègues masculins. La question des quotas divise. « C'est un problème que l'on retrouve partout en Europe, constate Lou Jeunet. Seuls les quotas font bouger les choses. Sinon, on peut encore attendre quarante ans... » Et de citer les pays scandinaves, qui, au prix d'objectifs chiffrés, ont imposé la parité et fait émerger des femmes de talent. Dans la foulée, la fiction nordique commençait son éclatante conquête du marché international...

 

 

(1) Etude « Où sont les femmes ? », saison 2015/2016 de la SACD et communiqué du 9 juillet 2014 du Groupe 25 images.

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