Dites, messieurs, c’est quoi, un “cinéma de fille” ?

Moins misogyne que Hollywood, le cinéma français ? Pas sûr. Actrices et réalisatrices expriment leur ras-le-bol d'un milieu patriarcal, où mieux vaut se conformer aux projections de ses pairs masculins.

Par Guillemette Odicino

Publié le 28 février 2016 à 13h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h28

Plus de 20 % de femmes cinéastes en France : ce pourcentage, bien supérieur à la moyenne mondiale, sonne presque comme une preuve de parité. Les études réalisées par l'agence Datcha prouvent qu'il cache une forêt de statistiques moins rutilantes : après un premier film remarqué, combien de réalisatrices parviennent à tourner un deuxième film ? Et à être reconnues comme équivalentes à leurs pairs (pères) ? Beaucoup plus évidente à Hollywood, où quelques stars mâles font la loi, la domination masculine apparaît dans le cinéma français comme l'héritage « naturel » d'une longue tradition de producteurs à gros cigare et de sujets de films écrits, en majorité, par des hommes pour des hommes. La réalisatrice Catherine Corsini (La Nouvelle Eve, La Belle Saison), qui a commencé sa carrière dans les années 1990, dresse un bilan peu probant des avancées : « Ma génération pensait que c'était gagné. Les filles allaient faire des films comme les garçons, et on nous disait que c'était incroyable, toutes ces femmes cinéastes ! Mais cela n'a pas progressé en trente ans : nous sommes péniblement passées de 20 à 23 % ! »

Des décideurs masculins, parisiens, blancs et bourgeois

Quand certains réalisateurs enchaînent les flops et continuent à trouver des financements, les réalisatrices, elles, semblent condamnées à réussir ou à disparaître : « Elles mordent plus vite la poussière, alors qu'un homme bénéficie de solidarité. Aujourd'hui encore, les décideurs du cinéma sont masculins, parisiens, blancs et bourgeois. Il faut donc continuer à bousculer les normes. » Catherine Corsini s'agace, aussi, du cliché « cinéma de femme » : « On nous autorise à écrire sur des sujets qui, prétendument, nous sont propres. Même les journalistes de cinéma -- en majorité des hommes ! -- s'attendent à ce que nous racontions des histoires de femmes et, si possible, de femmes borderline. » Quand Alice Winocour (d'ailleurs produite par une femme, Isabelle Madelaine) réalise Augustine, un film sur... l'hystérie, elle est applaudie. Avec Maryland, un thriller brutal, elle fait nettement moins l'unanimité...

Le changement, comme toujours, vient du cinéma d'auteur, avec des réalisatrices comme Céline Sciamma ou Emmanuelle Bercot et des productrices frondeuses comme Marie Masmonteil (Party Girl). Elles sont loin, en revanche, ces années 1990 où des Josiane Balasko et des Agnès Jaoui secouaient le cocotier du cinéma grand public avec Gazon maudit ou Le Goût des autres. Les hommes sont plus que jamais aux manettes des comédies populaires, dans lesquelles les personnages féminins restent caricaturaux. De quoi faire passer l'actrice Audrey Dana à la réalisation : « Dans les scénarios que je recevais, la fille était soit gentille, soit salope. C'est une blague ou quoi ? » Après Sous les jupes des filles, elle commence d'ailleurs le tournage de son deuxième film, Si j'étais un homme, l'histoire d'une femme qui se réveille avec un... pénis.

"Tu ne veux pas aller le consoler ? Tu sais qu'il t'adore"

Les réalisatrices elles-mêmes le soulignent : les comédiennes restent les plus exposées à la domination masculine, et l'on pense au titre du documentaire réalisé par Delphine Seyrig en 1981 sur le statut d'actrice : Sois belle et tais-toi. ­Audrey Dana confirme : « Nous sommes obligées de composer avec le désir des hommes. Votre partenaire masculin tombe amoureux de vous ? Le réalisateur vous envoie alors littéralement au turbin : "Il n'a pas l'air en forme. Tu ne veux pas aller le consoler ? Tu sais qu'il t'adore." C'est odieux. »

Là encore, même si une nouvelle génération d'actrices sans peur (Adèle Haenel, Céline Sallette) envoie valser l'injonction d'être « sexy et gentille », combien se voient contraintes de laisser leur dignité au vestiaire pour avoir une chance de faire carrière ? L'acteur Gilles Lellouche en témoigne, lui qui a eu des comédiennes pour compagnes : « Bien sûr que le cinéma français est macho ! Je ne parle même pas du problème de la différence de salaires et des rôles féminins moins bien écrits. Un réalisateur avec lequel j'envisageais de tourner m'a dit, tel quel : "Avec quelle actrice as-tu envie de coucher ?" Je me suis levé et j'ai refusé le film. D'autres peuvent demander à une actrice de se déshabiller dans leur bureau sous prétexte de réfléchir à la mise en scène. Si elle a le toupet de refuser, ils lui battent froid toute la durée du tournage. »

Virginie Efira garde espoir : « Le machisme est toujours plus fort aux endroits de décision. Dès qu'un film a pour objectif de ratisser au plus large, il se soumet au système patriarcal et ne l'interroge plus. Il y a trop peu de productrices et de réalisatrices en charge de gros budgets, ou de femmes à la tête de studios, comme Sidonie ­Dumas chez Gaumont. Mais la politique des auteurs en France permet l'émergence de films avec un regard sur les femmes débarrassé des stéréotypes qui confortent ce patriarcat. Pour une actrice, qui est la partie visible de l'iceberg, il y a donc la possibilité de résister. Oui, on peut être féministe et actrice. »

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